Lettre au camarade Laurent Gbagbo
Cher Laurent,
C’est avec beaucoup de sérénité, d’enthousiasme et de conviction que nous avons accueilli ta brillante élection à la tête de la Côte-d’Ivoire à l’issu de l’élection du 28 novembre dernier. Nous sommes conscients des difficultés apparentes auxquelles tu es confronté ces derniers jours. Cependant, nous restons convaincus que la vérité finira par triompher et le droit aura raison sur les armes.
Tu te souviens en 2000, tu as été porté au pouvoir par une jeunesse à
vide de démocratie et de liberté. Les manifestations qui ont suivi ton
élection, loin d’être une simple hostilité au pouvoir des militaires
était l’expression profonde d’un refus du retour de la françafrique,
dont Félix Houphouët Boigny, Allasane Dramane Ouattara, Henri Konan
Bédié ont été les dignes représentants. Aujourd’hui, ils se veulent les
chantres de la démocratie et de l’alternance politique en Côte d’Ivoire.
De qui se moque-t-on ? Certainement de la jeunesse africaine. Jeunesse
paupérisée, affamée, asphyxiée et méprisée par 50 ans de néocolonialisme
et dont elle ne rêve que de s’affranchir.
La liberté ou rien
Franz Fanon écrivait : « Toute génération doit dans une relative
opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». La véritable
mission de la jeunesse africaine aujourd’hui n’est pas principalement
celle de se battre pour la démocratie et les droits de l’homme, mais
d’abord pour son indépendance. C’est de ça qu’il est question. Certains
parlent de pseudo indépendance, d’autres d’une indépendance fictive,
nous nous parlons de l’indépendance totale. Ce n’est que par là que nous
pourrions assurer notre propre progrès politique, économique et
social.
Tu représentes aujourd’hui le flambeau de cette indépendance tant
recherchée. En 2011, tu es à la jeunesse africaine ce que Mandela était
aux noirs d’Afrique du Sud en 1990. Rien ne peut arrêter la volonté d’un
peuple à se battre pour la liberté. Même pas les chars de l’Onuci,
encore moins les soldats français de l’Opération Licorne qui se
comportent en territoire indépendant, comme s’ils étaient en colonie.
Nul ne peut mieux déterminer nos désirs et nos besoins que nous. Quelque
que soit le prix à payer, la Côte d’Ivoire, et par là l’Afrique sortira
de la grande nuit, pour reprendre Achille Mbembé. Cette nuit, c’est la
nuit du colonialisme, de l’exploitation, de l’asservissement et des
donneurs de leçons. Laurent, ils nous parlent d’alternance, alors que
nous réclamons l’indépendance, ils parlent des droits de l’homme, nous
refusons l’ingérence. « l’Afrique en a marre », a chanté le
panafricaniste Tiken Ja Fakoly .
De la communauté internationale
Laurent, tu sais il y a des moments j’ai honte d’appartenir à ce
continent. Mais quand je te regarde je me dis qu’il y a encore de
l’espoir. Rien n’est encore perdu. De passage au Cameroun il ya quelques
jours, des amis français me faisaient savoir que l’Afrique est le seul
continent à qui on peut encore venir dire faites – ceci et ne faites pas
cela. A-t-on un temps soit peu vu dans l’histoire de la IVème et de la
Vème république française, un chef d’Etat ou des hommes de médias
critiquer une décision du Conseil constitutionnel ? Pourquoi nous
africains devons nous accepter ce qui est intolérable sous d’autres
cieux ? Est-il possible de proclamer les résultats d’une élection
présidentielle aux Etats-Unis au siège du parti démocrate ? Ils viennent
soutenir chez nous ce qui serait considérer comme de l’infamie ou
aberration chez eux. L’Afrique n’est pas une poubelle ou encore un
espace vide où n’importe qui peut venir se promener avec dans son sac
ses intérêts et ses idées.
Ces africains qui acceptent avec beaucoup de philanthropie et d’enthousiasme les beaux discours de l’occident ont une mémoire très courte. N’oubliez pas qu’ils nous ont déportés de force, il y a quatre siècles pour aller cultiver des champs de canne à sucre aux Etats-Unis. Ils nous ont dit qu’à travers la colonisation, ils nous apporteraient la civilisation, ce fût les travaux forcés. Nous les avons aidés à faire tomber l’Allemagne nazie, ils nous ont dit que nous étions des tirailleurs. On voulait l’indépendance totale, ils ont mis sur pieds le néocolonialisme, philosophiquement structuré sur la pensée de Fanon « peaux noires, masques blancs ».
Ils pensent peut-être que nous sommes naïfs. Où est passé cette
communauté internationale, après l’assassinat de Sankara suite au coup
d’Etat militaire de Blaise Compaoré, le médiateur dans la crise
ivoirienne ? Où est passé cette communauté internationale quand 800 000
rwandais s’entretuait ? Que dire des élections en Tunisie, en Algérie,
en Egypte, en République démocratique du Congo. Je ne saurais citer les
cas de figure où la volonté du peuple est bâillonnée par des autocrates
et cette dernière ferme les yeux dans la seule optique de voir ses
intérêts garantis.
Ce qui est plus dramatique c’est qu’ils nous font subir ce qu’Ignaciot
Ramonet appelle « la tyrannie des médias ». A longueur de journée il
nous ait martelé que le « président élu » est empêché par le « président
sortant » d’exercer ses fonction. Du n’importe quoi. Rousseau
écrivait : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite n’est que
liberté ». Toute cette agitation autour de Ouattara est inquiétante.
Le retour de la mafiafrique
« La mafiafrique » est une expression de François Xavier Vershave,
pour décrire les relations compliquées qui existent entre la France et
ses anciennes colonies. Ils disent que tu as fait d’importantes
concessions à Bolloré, nous leur répondons que la paix n’a pas de prix
et c’est au nom de la paix que tu as du le concéder sous pressions de
Jacques Chirac. Ils ont imposé leur ami, Compaoré médiateur d’une crise
dont il n’est pas loin d’en connaître les moindres méandres. A la
rébellion, ils ont donné le nom de Forces nouvelles. Où à t’on vu cela
dans l’histoire de l’humanité ? Maintenant il est question d’imposer
Ouattara, l’homme du Fmi, qui a fait dévaluer le franc Cfa.
« L’Africain », qui a épousé une française, proche collaboratrice
d’Houphouët Boigny, parrain de la françafrique. L’homme qui a fait
alliance avec Bédié, celui pourtant par qui est venue l’ivoirité. L’ami
de Nicolas Sarkozy, proche de Bolloré, lui-même maillon essentiel de la
Françafrique.
Camarade, nous ne pouvons pas tolérer ce qui a actuellement cours en Côte-d’Ivoire. Je vais finir en citant Bertholt Brecht : « Qui lutte peut perdre, qui ne lutte pas peut perdre ». De toutes les manières, nous allons seulement lutter. Laurent, tient bon, la lutte doit continuer.